Par Isabelle PELLEGRINI
Auteur de Drôles de marchés, Drôles de fêtes, Marie de Paris, Eva de Stockholm.
L’expérience de l’écriture est un moment à part, une aventure intime, hors du monde et hors du temps. Lorsque mon éditeur m’a demandé d’en parler, je ne savais pas si je serais capable de mettre en mots cette expérience, mais je me suis dit qu’en tant qu’auteur, j’allais essayer !
C’est donc, vous disais-je, une aventure intime, mais elle est aussi très concrète, très humaine. Elle naît d’une rencontre entre un auteur et un éditeur autour d’un thème, d’une histoire écrite ou à écrire, d’un projet de collection, cela dépend. Quoi qu’il en soit, avant ou après cette rencontre, l’auteur se retranche du monde réel pour entrer dans celui des mots. C’est un voyage intérieur intense. Mais ce voyage peut avoir lieu au milieu de la cuisine, dans un bureau porte fermée, à la table d’un café, au nez et à la barbe de tous ou bien caché, loin de tous, cela dépend des gens, des moments, des histoires…
L’écriture se nourrit de l’expérience de vie de l’auteur, de ses rencontres, de ses voyages, de ses lectures et de ses proches, famille, amis… C’est ce que l’on pourrait appeler la « matière première ». L’histoire est ensuite sculptée dans cette matière brute, cette matière de vie, peu à peu. Les gestes de l’auteur sont proches de ceux d’un sculpteur taillant la masse, coupant, découpant, polissant les mots. Ces gestes sont guidés par des recherches précises qui sont la trame, la colonne vertébrale, le « corps » élaboré pour chaque histoire et autour duquel se construit l’histoire.
Puis arrive le jour où cette matière, sculptée par des jours et des nuits de labeur linguistique, est mise au jour, accouchée, mise au monde. Ce jour est celui de l’envoi du texte à la maison d’édition. C’est un moment très particulier, très fort où l’auteur reprend pied dans le monde réel et où son texte existe pour d’autres…
Puis vient l’étape des allers-retours, plus ou moins nombreux selon les livres, entre la maison d'édition et l’auteur, pour faire les corrections avant le texte final.
Lorsque cette étape est atteinte, alors le texte n’est plus seulement celui de l’auteur, il devient aussi la matière de l’illustrateur. Et pendant ce temps c’est l’attente fébrile de recevoir les dessins, de connaître enfin l’incarnation des personnages et des lieux qui n’existaient jusqu’à présent que dans son imaginaire …
Et vient l’instant à la fois craint et espéré, l’instant sublime de la découverte ! Voilà, l’imaginaire et le talent de l’illustrateur ont crée un univers graphique, plastique sur les mots, par les mots et on découvre un monde nouveau, autre !
Enfin vient la dernière étape qui est celle de la réception du premier exemplaire imprimé, de l’objet livre ! Et chose étrange s’il en est, à partir de ce moment final, crucial, l’histoire, les mots, n’appartiennent plus à l’auteur mais deviennent ceux des lecteurs. Lorsque le livre existe, ce sont des centaines, des milliers de nouvelles histoires qui s’écrivent alors sans l’auteur : celles de chaque lecteur avec SON livre.
Me voilà donc le livre entre les mains et l’histoire ne m’appartient déjà plus, elle prend son indépendance, loin de moi, sans moi ! Et c’est avec une grande joie teintée d’un brin de tristesse que je vois partir mon œuvre vers de nouvelles aventures qui se vivront sans moi… Comme une mère, heureuse et triste à la fois de voir partir ses petits devenus grands…
Que faire alors ?
Ecrire une autre histoire ?
Isabelle Pellegrini – Nice, le 17 mai 2010